LE DIRIGEANT D’ENTREPRISE QUI PERCOIT DES DROITS D’AUTEUR EST-IL ASSUJETTI A LA TVA ?
1. Les revenus du dirigeant d’entreprise issus de la cession ou concession du droit d’auteur :
D’innombrables personnes, parmi lesquelles des dirigeants d’entreprise, perçoivent des droits d’auteur afin de bénéficier du régime fiscal avantageux prévu par l’article 17 § 1er, 5° CIR92 qui réserve aux revenus résultant de la cession ou de la concession de droits d’auteur et de droits voisins, ainsi que des licences légales et obligatoires, une assimilation à des revenus mobiliers jusqu’à 59.970 € (exercice 2019). Quelles que soient les circonstances dans lesquelles ils ont été promérités, ces revenus sont taxés forfaitairement à un taux distinct de 15 % brut (hors déduction des frais forfaitaires dégressifs). Jusqu’à ce plafond, le débiteur du droit d’auteur retient un précompte mobilier de 15 % que le cédant doit déclarer. Ce n’est qu’au-delà de ce seuil que se posera la question du caractère professionnel ou mobilier des droits d’auteur perçus qui seront alors soumis au taux d’imposition progressif ordinaire de l’impôt des personnes physiques s’ils sont acquis dans le cadre d’une activité professionnelle.
Ce mécanisme s’applique à toutes les personnes physiques, indépendamment du fait qu’il s’agisse de droits d’auteur payés à des indépendants ou à des employés. Il connaît par conséquent un véritable engouement. Mais l’administration veille au grain et à l’interprétation restrictive de la disposition, fourbissant ses armes (mesure générale anti-abus, simulation,…) pour répondre à cet emballement et éviter que des revenus imposés en tant que rémunérations ou profits ne soient subitement convertis en droits d’auteur taxés plus favorablement, ou empêcher une érosion artificielle de la base imposable de la société du dirigeant d’entreprise qui abuserait de déductions contestables.
Le dirigeant d’entreprise peut donc, comme n’importe quelle autre personne, revendiquer la qualité d’auteur d’une œuvre de l’esprit et organiser, dans le cadre d’un contrat, la cession ou la concession des droits patrimoniaux qu’il dispose sur ses créations originales moyennant paiement, par sa propre société, de revenus qualifiés de droits d’auteur. Prix forfaitaire ou pourcentage, aucun mode de calcul de cette rémunération, fût-il sui generis, n’est prohibé mais il importe qu’il se fonde sur une réalité de faits et actes juridiques. Le SDA avait ainsi accepté qu’un dirigeant d’entreprise qui créait seul toutes les montures de lunettes que sa société vendait perçoive, en plus de la rémunération minimum de dirigeant (Art. 215 CIR92), un pourcentage du chiffre d’affaire réalisé, ces droits d’auteur étant d’autre part déductibles à titre de charge professionnelle pour la société (49 CIR 92). Dans le cadre d’un ruling, le SDA détermine ses propres exigences, décidant par exemple que si la rémunération minimale de 45.000 € n’est pas atteinte ou si l’entreprise octroie plus que la moitié de ses bénéfices avant impôt en droit d’auteur, il refusera que le dirigeant perçoive plus de 5 % du chiffre d’affaires de sa société au titre de droit d’auteur. Ces décisions anticipées qui n’ont aucune portée générale et ont une valeur de précédent très relative guideront néanmoins les plus prudents.
Par ailleurs, le ministre des finances avait précisé qu’à condition qu’il existe une véritable cession ou concession de droits d’auteur, le fisc doit appliquer la séparation entre les revenus mobiliers et professionnels, le principe d’attraction régissant les rémunérations du dirigeant d’entreprise ne s’appliquant pas aux revenus issus de la cession ou concession de droits d’auteur jusqu’au plafond fixé par la loi.
Aussi conviendra-t-il de prêter attention aux éléments de fait afin de répartir le plus justement possible, aux termes d’une convention, la rémunération issue de l’exercice d’un mandat de gestion de celle issue de la cession ou concession de droits d’auteur ou droits voisins du droit d’auteur.
Quid de l’obligation pour le dirigeant d’entreprise de s’assujettir à la TVA ?
2. Le dirigeant d’entreprise et la TVA :
Un dirigeant d’entreprise est-il assujetti à la TVA ? Une société de management, exerçant un ou plusieurs mandats de dirigeant d’entreprise, est assujettie à la TVA (article 18, § 1er, 1° et 3° CTVA). Ses prestations constituent des prestations de service qui sont soumises à la TVA. Cet assujettissement concerne uniquement les administrateurs, délégués à la gestion journalière, gérants, liquidateurs et membres d’un comité de direction qui agissent par la voie d’une personne morale. Qu’en est-il du dirigeant d’entreprise qui perçoit des management fees en personne physique ? Lorsqu’une personne physique exerce un tel mandat, suivant la jurisprudence, elle n’est pas assujettie au motif qu’elle agit en tant qu’organe de la personne morale qu’elle représente et que, fait dès lors défaut la condition d’indépendance requise par l’article 9 §1er, al. 2 de la directive TVA pour l’activité exercée. C’est également la position de la Commission européenne qui ne semble pas encline à une harmonisation en la matière, au grand dam de certains pays comme le Luxembourg.
Donc, en Belgique, ni les tantièmes, ni les honoraires d’administrateurs qui agissent en personne physique en tant qu’organes d’une société ne sont soumis à la TVA. Par contre, des prestations de services qui seraient réalisées en vertu d’un contrat distinct du mandat social devraient être soumises à la TVA. La question mériterait cependant d’y consacrer un article à part entière car on comprend mal la distinction faite à ce sujet entre les personnes morales et les personnes physiques. La logique voudrait en effet que toutes les opérations réalisées dans le cadre d’une activité économique d’administrateur de sociétés soient, soit dans, soit hors du champ d’application de la TVA.
Quid du dirigeant d’entreprise qui se serait immatriculé à la TVA en tant que personne physique et qui émettrait des factures pour ses prestations de gestion au sein de sa propre société ? Cela serait sans grand intérêt dès lors que, d’une part, il prendrait le risque de voir celles-ci requalifiées en rémunérations soumises au précompte professionnel et que, d’autre part, si la manœuvre vise à diminuer les charges salariales, sa société perdrait de ce fait le droit d’être taxé au taux réduit des sociétés.
3. Le dirigeant d’entreprise-auteur est-il assujetti à la TVA en ce qui concerne la cession ou concession de ses droits d’auteur ?
Pour y répondre, il est nécessaire d’appliquer le principe général contenu dans l’article 9 §1er al. 2 de la directive TVA qui définit l’« assujetti » comme étant toute personne ou tout organisme qui « exerce, d'une façon indépendante et quel qu'en soit le lieu, une activité économique, quels que soient les buts ou les résultats de cette activité ».
Le champ d’application est donc large, bien qu’il existe des exemptions pour des raisons sociales ou culturelles. En principe donc, lorsque la cession ou la concession de droits d’auteur atteste d’une forme d’activité économique et qu’une rémunération est demandée en contrepartie de celle-ci, le cédant doit être considéré comme assujetti à la TVA. Mais les opérations (non pas de création mais de cession ou concession des créations) occasionnelles ne sont pas considérées comme une activité professionnelle, seules étant visées les personnes qui effectuent, dans l’exercice d’une activité économique, d’une manière habituelle et indépendante, à titre principal ou à titre d’appoint, avec ou sans esprit de lucre, de telles prestations de services.
L’administration fiscale semble aussi considérer que le dirigeant d’entreprise serait, a priori, tenu de s’identifier à la TVA. C’est également l’avis de certains auteurs qui estiment qu’en tant qu’indépendant, les opérations de cession et concession de droit d’auteur entrent dans le champ d’application de la TVA. Quelques-uns vont jusqu’à conseiller la constitution d’une unité TVA entre la société et son dirigeant.
Mon opinion est que la réponse doit être nuancée et variera en fonction des circonstances de fait. La cession ou la concession des droits d’auteur sont en principe soumises à la TVA lorsque des rémunérations sont perçues sur une base régulière. D’ailleurs, l’art. 18 §1er, al.2, 7° CTVA cite la cession ou la concession d’un brevet, d’une marque, d’un droit d’auteur, d’un dessin ou d’un modèle ou d’autres droits similaires comme autant de prestations qui se situent dans le champ d’application de la TVA.
Toutefois, un dirigeant d’entreprise qui, une ou deux fois l’an, donnerait en licence à sa société ses droits patrimoniaux sur ses créations ne devrait pas être tenu de s’identifier à la TVA, et donc de porter celle-ci en compte dans sa facturation ; l’exercice occasionnel de cette activité économique ne permet en effet pas de conférer la qualité d’assujetti à la TVA. Il a ainsi été jugé que la location d’une voiture par un gérant et associé à sa société n’est pas considérée comme visant à acquérir des recettes permanentes de sorte que le gérant ne doit pas s’assujettir à la TVA. Pourquoi en irait-il autrement à propos d’une licence de droits d’auteur qui s’apparente à une location, d’autant qu’elle ne serait pas mensuelle ?
Dans ce contexte, le dirigeant d’entreprise n’étant pas assujetti, aucune TVA n’est due lorsqu’intervient la prestation de services que constituent la cession ou concession des droits.
Si la situation factuelle devait être moins claire, il n’est pas inutile de rappeler qu’il appartient au fisc de démontrer que le contribuable est assujetti à l’impôt (Tiberghien, Manuel de droit fiscal 2018-2019, n° 0242, p. 48).
Enfin, précisions que « dans le doute, la loi doit être interprétée contre le fisc » (Cass., 24 octobre 1938, Pas., 1938, I, 331). Ainsi, s’il existe un doute quant à l’application de la législation TVA à un cas d’espèce, celui-ci devra profiter au contribuable. En pratique, la question de l’assujettissement à la TVA perdra son intérêt dans l’hypothèse où le chiffre d’affaire ne dépasse pas 25.000 €, l’assujetti pouvant alors bénéficier du régime de franchise de la taxe pour les petites entreprises.
4. Conclusion
Le dirigeant d’entreprise peut, à l’instar de tout autre créateur, bénéficier du régime de taxation favorable des droits d’auteur. En cédant ou concédant à sa propre société des droits sur une œuvre de l’esprit originale, il effectue bien une prestation de service (c’est-à-dire toute opération qui ne constitue pas une livraison d’un bien). Les éléments de fait propres à son cas permettront de confirmer ou infirmer si celle-ci est réalisée dans le cadre de l’exercice d’une activité économique, de façon indépendante, et de manière habituelle - auquel cas il sera assujetti à la TVA - ou, au contraire, s’il exerce une activité économique occasionnelle qui ne vise pas l’acquisition des recettes permanentes.
A mon sens, un dirigeant d’entreprise qui, en une année, établit un ou deux contrats de cession ou concession de droit d’auteur, n’est pas assujetti à la TVA et peut se contenter d’un contrat établi en bonne et due forme sans devoir facturer de la TVA, cette « aliénation » ou « location » de droits de reproduction et/ou de droits de communication au public n’étant pas exercée en vue d’en retirer des recettes ayant un caractère de permanence.
Ainsi, l’entreprise qui disposera au 31 décembre d’un résultat de 90.000 € au moins et attribue à son dirigeant une rémunération de minimum 45.000 € pour jouir du taux d’imposition réduit PME de 20,4 %, peut encore, avant la fin de l’exercice, occasionnellement optimiser davantage et réduire sa base imposable en acquérant, de son dirigeant, des droits d’utilisation de ses créations originales préexistantes (présentations power point, documents, schémas, discours, logos, articles de fonds, brochures, bases de données, programmes informatiques, etc.), sans avoir à accomplir de lourdes formalités (immatriculation à la TVA et, au préalable, inscription à la banque-carrefour des entreprises). Simultanément à la possibilité pour l’entreprise de déduire cette rémunération au titre de frais professionnels, l’opération permet à son dirigeant de se prévaloir de la taxation très avantageuse prévue à l’article 17 § 1er, 5° CIR92.
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