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PARQUER SON VEHICULE DE LOISIR DANS UNE SOCIETE CIVILE LUXEMBOURGEOISE

Le 03 juin 2017
PARQUER SON VEHICULE DE LOISIR DANS UNE SOCIETE CIVILE LUXEMBOURGEOISE
Cet article traite de la manière dont les résidents belges peuvent légalement réduire leur charge fiscale sur un luxueux véhicule de loisir et aborde les préoccupations liées à l'utilisation d'une société civile luxembourgeoise à cet effet.

1. Le concept 

L’idée consiste à s’offrir le plaisir occasionnel de conduire une voiture d’exception, sans être soumis aux coûteuses taxes de luxe. Immatriculer une Ferrari ou une Lamborghini que l’on n’utilisera que quelques week-ends par an peut s’avérer particulièrement onéreux. Prenons par exemple une Ferrari F8-Tributo V8 année 2023 au prix de base de 233.000 € HT, avec une puissance de 720 chevaux (530 kW), une classe d’émission euro 6 et des émissions de CO² de 296 g/km. En Wallonie, les taxes s’élèvent dans ce cas précis à 55.973,13 € la première année (48.930,00 € de TVA, 4.957,00 € de TMC - montant qui va probablement passer à 9.000 € en 2025, 2.500 € d’Eco-Malus et 2.086,13 € de taxe de circulation annuelle. En Flandres, les frais sont encore plus élevés, atteignant 65.012,42 €, composés de 48.930,00 € de TVA, 13.249,15 € de TMC et 2.833,27 € de taxe de circulation annuelle. En France, la puissance fiscale de ce véhicule est de 70 CV et, outre la TVA de 46.600,00 €, il faudra compter une écotaxe de 50.000 €. En revanche, au Grand-Duché de Luxembourg, les coûts sont sensiblement plus avantageux, avec seulement 40.071,76 € à débourser, dont 39.610 € de TVA (exceptionnellement, 37.280,00 € en 2023), aucune TMC ni Eco-Malus et 461,76 € de taxe de circulation de circulation annuelle. C’est pourquoi de nombreux amateurs de véhicules de luxe optent pour l’acquisition de ces voitures au nom d’une société civile luxembourgeoise.  

 

2. De l’avantage de ce véhicule sociétaire 

La société de droit commun est une société qui, bien qu’ayant un objet civil ou commercial, est fondée sur un contrat par lequel au moins deux associés mettent en commun quelque chose afin de réaliser un objectif commun défini. Elle est constituée et régie par le Code civil, principalement par les règles relatives aux sociétés en général. Elle peut être constituée par acte sous seing privé ou acte notarié. Sous peine de nullité, elle doit compter au moins deux fondateurs. En droit belge, depuis l’introduction du Code des Sociétés et des Associations (CSA), la Société Simple (interne ou momentanée) est la seule forme de société de personnes dépourvue de personnalité juridique propre. En pratique, elle est souvent utilisée dans le cadre de la planification successorale. Suite à la réforme du droit des entreprises, elle est maintenant qualifiée d’entreprise et est soumise à des obligations telles que l’enregistrement auprès de la Banque Carrefour des Entreprises ou l’établissement de comptes annuels qui ne doivent cependant pas être publiés. En vertu de la loi anti-blanchiment, elle doit aussi déclarer ses bénéficiaires effectifs. Elle peut acquérir la personnalité juridique en adoptant soit la forme d’une société en nom collectif soit celle d’une société en commandite. En revanche, la société civile de droit luxembourgeois bénéficie d’une personnalité juridique distincte de celle de ses associés (art. 3 al. 1er de la LSC du 10/08/1915 vs. art. 4:1 du CSA belge). Ses actes (pas ses comptes annuels) doivent être publiés (art. 8 al. 1er de la LSC du 10/08/1915). Elle possède donc la nationalité luxembourgeoise en raison de son siège statutaire au Luxembourg et la loi luxembourgeoise lui est applicable, à la différence de la société simple belge qui, en l’absence de personnalité juridique, ne peut se prévaloir d’une nationalité distincte. 

En raison de l’existence d’une personnalité juridique, la société civile luxembourgeoise peut contracter et posséder un patrimoine propre, contrairement à la société civile belge, où les biens patrimoniaux apportés appartiennent en indivision aux différents associés. Si l’objet social de la société civile luxembourgeoise est exclusivement civil, elle est soumise au régime fiscal des sociétés de personnes, considérées comme des entités fiscalement transparentes, sans personnalité juridique distincte de leurs associés sur le plan fiscal. En conséquence, les bénéfices sont imposables uniquement dans le chef des associés en proportion de leur part, et sont soumis à l’obligation de déclaration à l’impôt sur le revenu (I.R.), qu’ils bénéficient ou non d’une exonération. Les bénéfices commerciaux de la société de personnes ou de la copropriété non exonérés sont imposés dans le chef des associés suivant un barème progressif, dont le taux au Luxembourg varie de 0% à 42,00% (0% jusqu’à 11.264 €, 42,00% au-delà de 200.004 € par an). Si les associés sont belges, seuls leurs revenus indigènes luxembourgeois seront soumis à l’impôt sur le revenu des non-résidents (art. 156 L.I.R.). Cependant, il est possible que cette société de personnes exerce une activité commerciale et que ses bénéfices soient par conséquent soumis à l’impôt sur le revenu des collectivités (I.R.C.), dont le taux actuel oscille actuellement entre 15 % et 17 %, avec une majoration de 7 % en faveur du fonds pour l’emploi, ce qui entraîne une charge fiscale effective d’environ 25 %. Cette dernière hypothèse n’est pas celle envisagée ici. Dans le cas qui nous occupe, l’objet social doit rester exclusivement civil pour éviter toute incidence fiscale défavorable. Il convient également de noter que l’impôt sur la fortune a été supprimé en 2006 pour les personnes physiques, y compris lorsqu’elles sont associées dans une société civile.

Les associés résidents belges envisagent ainsi de créer une société civile luxembourgeoise dont l’objet sera strictement civil, à l’exclusion de toute activité commerciale. Cette société aura pour objet la détention et l’utilisation à des fins privées des biens mobiliers comme les véhicules, les bateaux, les chevaux, les œuvres d’art, et plus encore. Prenons, par exemple, le cas de la Ferrari. Elle sera logée au sein de cette société, ce qui permettra aux associés de réaliser une économie d’environ 20.000 € dès la première année. En effet, c’est la société civile luxembourgeoise qui achètera le véhicule et l’immatriculera au Luxembourg, puis le mettra à disposition de ses associés pour leurs sorties hebdomadaires.

En conséquence, cette société civile n’est ni soumise à l’I.R.C., ni enregistrée à la TVA. Elle n’aura même pas nécessairement besoin d’un compte bancaire, car les frais courants seront directement pris en charge par les associés. Elle doit tenir une comptabilité, mais la publication des comptes n’est pas requise et la loi n’impose pas la surveillance par des commissaires aux comptes ni de réviseur des comptes, même si les seuils applicables aux sociétés commerciales sont atteints. De plus, il ne sera pas question d’un avantage de toute nature imposable dans le chef du dirigeant d’entreprise en raison de l’utilisation du véhicule. En effet, pour qu’il y ait assimilation à une rémunération provenant d’une occupation salariée, il est essentiel que cet avantage en nature soit obtenu en raison ou à l’occasion de l’exercice de l’activité professionnelle, ce qui n’est pas le cas en l’espèce. La société civile se limitera à réaliser son objet social, à savoir la détention et l’utilisation à des fins privées de biens mobiliers, à l’exclusion de toute activité commerciale.

La situation serait tout à fait différente si cette société civile venait à exercer, même de façon occasionnelle, une activité à caractère commercial ; elle serait alors soumise à l’I.R.C. Dans ce cas, il serait nécessaire de prendre en considération un avantage en nature, variant entre 0,5% et 1,8% par mois de la valeur TTC du véhicule (après remise commerciale), en fonction du taux d’émission de CO². Alternativement, il serait envisageable de procéder à la location du véhicule afin d’éviter cet avantage en nature pour l’associé. Toutefois, cela ne correspond pas à l’objectif poursuivi par les deux associés de la société civile.

3. Des mesures prises pour prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices et de la convention belgo-luxembourgeoise en vue d’éviter les doubles impositions 

La question de l’impact de la Convention entre le Luxembourg et la Belgique visant à éviter les doubles impositions et à régler certaines autres questions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune, ainsi que de la Convention multilatérale pour la mise en œuvre des mesures relatives aux conventions fiscales visant à prévenir l’érosion de la base d’imposition et le transfert de bénéfices (l’IM), peut être considérée comme principalement théorique. 

En droit fiscal belge, sauf dérogation, une société civile dotée de la personnalité juridique est soumise à l’impôt des sociétés. Selon le commentaire du CIR 92 (179/7, 4°), la doctrine lex societatis et la jurisprudence, doivent être considérées comme possédant la personnalité juridique les entités étrangères auxquelles le droit en vigueur dans leur pays de constitution reconnaît la personnalité juridique, même si dans ce pays elles ne sont pas fiscalement considérées comme des sociétés ou si elles revêtent des formes qui, en droit belge, ne leur conférerait pas la personnalité juridique. Or, comme il a été précisé précédemment, la société de personnes luxembourgeoise qui n’a aucune activité commerciale, bien qu’elle jouisse de la personnalité juridique, n’est pas soumise à un impôt sur le revenu au Luxembourg. Par conséquent, les bénéfices subissent le régime de la transparence fiscale et sont imposables uniquement dans le chef des associés en proportion de leur part dans la société. En résumé, tant en application des règles fiscales belges que luxembourgeoises, la société civile luxembourgeoise sans activité commerciale n’est pas considérée comme un sujet distinct et le régime de la transparence lui est appliqué. L’associé belge sera donc imposé à titre de revenus mobiliers (dividendes) proportionnellement à sa part dans la société civile luxembourgeoise. 

Cela soulève l’intérêt - de nature théorique - des dispositions spécifiques telles que celles relatives aux entités transparentes. Elles permettent de régler les conflits qui surviennent lorsque deux États considèrent différemment le caractère opaque ou transparent d’une entité, ce qui n’est pas le cas ici. Elles peuvent également apporter une réponse aux divergences de traitement fiscal entre les États, comme c’est le cas entre la Belgique et le Luxembourg en ce qui concerne le régime de la transparence des revenus de sociétés de personnes sans activité commerciale. Ainsi, l’article 3 de l’IM prévoit que le revenu perçu par ou via une entité ou un dispositif considéré comme totalement ou partiellement transparent sur le plan fiscal selon la législation de l’un des États est considéré comme étant le revenu d’un résident d’un des États, mais uniquement dans la mesure où ce revenu est traité, aux fins de l’imposition par cet État, comme le revenu d’un résident de cet État. Cela confirme que la société civile luxembourgeoise ne sera pas assujettie à l’impôt luxembourgeois, tandis que l’associé belge sera taxé en Belgique sur sa part des revenus de la société. 

En quoi cette question est-elle principalement théorique ? Elle l’est simplement parce qu’elle concerne l’assujettissement du contribuable et l’éligibilité de celui-ci aux avantages conventionnels d’élimination de la double imposition par l’État de résidence. En pratique cependant, la société civile ne génère aucun revenu, à l’exception éventuelle d’une plus-value réalisée lors de la vente d’un véhicule de collection. Néanmoins, nous considérons que cette éventuelle plus-value ne fait pas partie du résultat d’exploitation entraînant une taxation au titre de bénéfice. La société civile ne déduit aucune charge, ne génère aucun revenu imposable et ne distribue aucun bénéfice. En vertu du régime de la transparence, de telles plus-values devraient selon nous être exonérées dans la mesure où elles ont été réalisées dans le cadre de la gestion normale d’un patrimoine privé (Art. 90,9° du CIR 92). En effet, la société civile luxembourgeoise sans activité commerciale n’est pas considérée comme un sujet distinct et n’est pas soumise à un impôt sur le revenu au Luxembourg.

    

4. De l’obligation de déclarer la SC luxembourgeoise et de la taxe Cayman dans le chef d’associés résidents belges  

À partir de l’exercice d’imposition 2014, les contribuables belges ont été tenus de déclarer s’ils étaient les fondateurs ou les bénéficiaires économiques d’une construction juridique. Cette obligation a été introduite par le législateur dans le but de lutter contre certaines formes d’évasion fiscale. À partir de l’exercice 2016, une imposition a été instaurée sur les revenus générés par ces structures (art. 38 de la loi-programme du 10 août 2015, modifiée par la loi du 26 décembre 2016) ; c'est désormais le fondateur ou le bénéficiaire économique qui est assujetti à l’impôt en Belgique (par transparence). Cela s’applique aux bénéfices générés par l’entité juridique, même s’ils n’ont pas été perçus par le fondateur ou le bénéficiaire, et, quel que soit leur nature.

 

Les structures « offshore » visées par cette taxe Cayman sont de trois types. 

• Les structures fiduciaires sans personnalité juridique (art. 2,§1er, 13°, a) du CIR92). 

Sont donc visées les structures sans personnalité juridique, mais qui bénéficient tout de même d’un patrimoine d’affectation isolé, comme les trusts ou le contrat de fiducie. Comme exposé ci-dessus, contrairement à la société civile belge, la société civile luxembourgeoise est dotée de personnalité juridique distincte et à ce titre, elle n’entre pas dans le champ d’application de cette première catégorie.

• Les entités avec personnalité juridique peu ou pas imposées (art. 2 §1er, 13° b) C.I.R.).

Sont ainsi visées les formes juridiques dotées de la personnalité juridique non soumises à un impôt sur le revenu ou soumises à un régime fiscal « notablement plus avantageux » que le régime fiscal belge, c’est-à-dire à un impôt sur le revenu représentant moins de 15 % calculé sur le revenu imposable qui serait déterminé selon les règles belges. En principe, les personnes morales établies dans l’EEE ne sont pas considérées comme des constructions juridiques, sauf dans les cas prévus par le Roi. Sont visées par l’A.R. du 21 novembre 2018 toutes les entités établies en EEE dotées de la personnalité juridique qui sont exonérées d’impôts sur le revenu ou paient moins de 1 % d’impôts sur le revenu selon la base imposable belge. Les organismes de placement établis dans l’EEE dont les droits sont détenus par une seule personne ou plusieurs personnes liées ainsi que les sociétés dites hybrides établies dans l’EEE sont également pris en considération. Il s’agit de sociétés qui ne sont pas traitées de façon transparente en droit belge, mais qui, en vertu du droit fiscal de l’État membre de l’EEE dans lequel ces sociétés sont établies, sont toutefois traitées de manière transparente d’un point de vue fiscal, de sorte que les revenus échappent à l’impôt, parce que l’associé ou le membre n’est pas résident. Or, dans notre exemple, les associés sont des résidents belges traités de façon transparente en droit belge.

• Les constructions contractuelles (art. 2 §1er, 13° c) C.I.R.).

Cette disposition fourre-tout vise à éviter que des contribuables intègrent une construction juridique de type 1 ou 2 dans un contrat (par exemple, un contrat d’assurance-vie) pour échapper à l’application de la taxe Caïman.

L’A.R. du 18 décembre 2015 comporte deux exceptions, parmi lesquelles une clause d’exclusion de la convention préventive de la double imposition (CPDI) qui prévoit que l’administration fiscale belge ne peut pas appliquer la taxe Caïman si, en vertu d’une telle convention entre la Belgique et un État de l’EEE, la compétence d’imposition revient à ce dernier (par exemple, dans le cas d’une société civile immobilière française - SCI). Ce motif d’exclusion spécifique s’applique aux entités hybrides et aux entités peu ou pas imposées.

En résumé, prenons l’exemple de la société civile luxembourgeoise constituée pour y loger un véhicule de luxe : celle-ci n’est pas destinée à générer des revenus et ne possède même pas de compte bancaire. Son unique vocation est de détenir et d’utiliser le véhicule à des fins privées. Or, ce n’est que « dans la mesure où elle reçoit des revenus […] » que l’entité doit être reconnue comme une construction juridique soumise à déclaration. L’apport de chaque associé sert à financer l’acquisition du bien mobilier et les charges liées à l’utilisation de celui-ci sont directement assumées par les associés. Par conséquent, il n’est pas nécessaire de déclarer la construction et quand bien même le législateur élargirait cette obligation de déclaration au cas de figure décrit, il n’y aurait en tout état de cause pas lieu à taxation par transparence faute de revenus. Il est également important de noter que la taxe ne s’applique pas aux apports ou aux transferts d’actifs des constructions juridiques situées dans un pays ayant conclu une convention préventive de double imposition ou un accord d’échange de renseignements fiscaux.

 

5. Du droit de limiter la charge fiscale sans en abuser 

Comme exposé ci-après, un résident belge est généralement tenu d’immatriculer son véhicule en Belgique et, par conséquent, de s’acquitter des taxes associées. Toutefois, dans notre situation particulière, il décide de déléguer cette opération à une entité qu’il contrôle, mais qui n’est pas soumise à l’impôt belge, et qu’il constitue uniquement à cet effet. 

La création de cette entité étrangère à des fins purement fiscales suscite diverses préoccupations. 

Sur le plan international, sous l’impulsion des pays de l’OCDE et du G20, un plan d’action a été adopté pour lutter contre l’érosion de la base imposable et le transfert de bénéfices (BEPS). L’action 5 vise à lutter contre les pratiques fiscales dommageables en prenant en considération la transparence et la substance.  Dans ce contexte, bien qu’il s’agisse de recommandations, les États considèrent que l’usage d’une structure ad hoc « non authentiques », c’est-à-dire mise en place pour obtenir un avantage fiscal et ne reposant sur aucune réalité économique, n’est plus tolérable. 

Au niveau européen, la jurisprudence consacre le droit de faire usage des libertés instituées par le traité TFUE, notamment la liberté d’établissement dans un autre État membre, la libre prestation des services ou la libre circulation des capitaux, dans le but exclusif de tirer profit d’un régime fiscal plus favorable. Par conséquent, la détention d’une participation par un ressortissant d’un État membre dans le capital d’une société établie dans un autre État membre, conférant une influence sur les décisions de cette société, relève de la liberté d’établissement et les dispositions nationales ne peuvent avoir d’effet restrictif sur celle-ci ni aucune autre liberté instituée, sauf si cette restriction se justifie par des raisons impérieuses d’intérêt général. N’est pas considérée comme une raison impérieuse d’intérêt général la lutte contre une forme particulière d’évasion fiscale. Cependant, une mesure nationale restreignant la liberté d’établissement peut être justifiée lorsqu’elle vise spécifiquement les montages purement artificiels dont le but est d’échapper à l’emprise de la législation de l’État membre concerné. En résumé, la création d’une société à l’étranger dans le but de bénéficier d’un régime fiscal favorable ne constitue pas en soi un abus, pourvu qu’il y ait une implantation réelle ayant pour objet l’exercice d’une activité économique effective au moyen d’une installation stable (principal ou secondaire) pour une durée indéterminée (arrêt Centros du 9/3/1999 ; arrêt Überseering du 5/11/2002 ; arrêt Barbier du 11/12/2003 ; arrêt Lasteyrie du Saillant 11/3/2004 ; arrêt Cadbury Schweppes du 12/9/2006).

En conclusion, l’article 54 TFUE (anciennement l’article 48 CE) impose aux sociétés une double obligation pour qu’elles puissent avoir accès à la liberté d’établissement. D’une part, elles doivent être constituées en conformité avec la législation de l’État membre élu et, d’autre part, elles doivent avoir leur siège statutaire, leur administration centrale ou leur principal établissement à l’intérieur de l’Union européenne. Dans le cas présent, s’agissant d’une société civile de droit luxembourgeois n’ayant aucune activité commerciale, à l’instar d’une société holding, il n’est pas nécessaire de disposer d’un espace physique dédié et la domiciliation est autorisée en vertu du droit luxembourgeois.

En droit fiscal belge, la jurisprudence consacre le droit de choisir la voie la moins imposée à condition qu’il n’y ait pas simulation (arrêt Brepols du 6/6/1961, arrêt Au vieux Saint Martin du 22/3/1990). Il y a simulation lorsque les parties n’assument pas les conséquences juridiques de l’acte apparent qu’elles invoquent et auquel elles substituent une convention secrète. De plus, cette jurisprudence confirme l’absence en droit belge de la théorie de la fraude à la loi, qui permettrait de rendre inopposable au fisc belge un acte licite posé par un contribuable dans le but de contourner une règle obligatoire par un procédé juridique artificieux. 

Il est donc nécessaire de s’interroger sur une possible simulation lorsque deux résidents belges constituent une société civile au Luxembourg. Premièrement, la société civile luxembourgeoise est-elle simulée ? À ce propos, il n’y a pas simulation dans l’exemple exposé, car une véritable société civile existe au Luxembourg, et son existence peut être opposée au fisc belge. Deuxièmement, il est important de se demander si certains éléments de cette société civile luxembourgeoise ou certains actes posés par elle sont-ils simulés. Tel est le cas lorsque les organes de la société luxembourgeoise se réunissent en réalité en Belgique. C’est également une possibilité si les actes prétendument posés par la société civile luxembourgeoise sont en réalité posés par une autre personne soumise à l’impôt belge. Dans ce cas de figure, le fisc belge – qui a la charge de la preuve – cherchera à établir la simulation par interposition de personne afin de pouvoir taxer le bénéficiaire économique qui est réellement l’auteur des actes. Aussi, certains associés qui préfèrent ne pas se déplacer au Luxembourg pour y poser des actes choisissent de mandater un résident luxembourgeois pour administrer la société civile, ce qui, par la même occasion, complique davantage la tâche du fisc belge. Cependant, il convient de noter que cette option devient de plus en plus onéreuse, ce qui peut finalement annihiler l’avantage recherché, et sa mise en œuvre est rendue difficile en raison de la réforme fiscale luxembourgeoise de 2017 qui renforce la responsabilité des administrateurs.

Donc, il convient de souligner que la création d’une société civile au Luxembourg par un résident belge (avec au moins un autre associé) ne constitue pas automatiquement une simulation. Cela est particulièrement vrai lorsque la société civile réalise réellement son objet social qui consiste à détenir et user à des fins privées des biens mobiliers. La société devra toutefois être strictement gérée au départ du Grand-Duché de Luxembourg. Cette hypothèse ne devrait pas poser de souci si le véhicule est effectivement entreposé là-bas et si les associés sont régulièrement sur place. Il est important de noter que le véhicule ne peut pas être géré à partir de la Belgique, sous peine de constituer un établissement stable susceptible d’entraîner son immatriculation en Belgique (art. 3, §1, al. 2, c) A.R. du 20/07/2001).

Au-delà de la simulation, il faudra aussi examiner les dispositifs anti-abus mis en place, qu’ils relèvent spécifiquement de la fiscalité directe (en matière d’enregistrement, TVA, succession, etc.) ou qu’ils soient d’ordre général. En droit belge, l’art. 344 CIR92 prévoit l’inopposabilité à l’administration d’un ou plusieurs actes juridiques réalisant une même opération lorsque celle-ci prouve qu’il y a abus fiscal. Cette situation se produit lorsque l’administration prouve que l’opération est exclusivement (voire essentiellement) motivée par le souci d’éviter l’impôt et qu’elle viole l’objectif d’une disposition fiscale. Le contribuable doit donc se ménager une preuve de ce que l’option juridique qu’il a choisie se justifie par d’autres motifs que l’évitement de l’impôt. La loi-programme du 29/3/2012 a également introduit une disposition similaire dans le code des droits d’enregistrement, d’hypothèque et de greffe (applicable au droit des successions). Cependant, il semble difficile d’appliquer ces mesures au cas d’espèce, car elles visent les abus en matière de fiscalité directe, tandis que ni la société civile ni ses associés ne génèrent de revenus. 

Quid de la disposition générale anti-abus figurant dans le code TVA belge et qui constitue une limite au choix de la voie la moins imposée ? En substance, le législateur considère qu’il y a pratique abusive lorsque les opérations effectuées ont pour résultat l’obtention d’un avantage fiscal dont l’octroi est contraire à l’objectif poursuivi par les dispositions en matière de TVA et que leur but essentiel est l’obtention de cet avantage (art. 1§10 CTVA). Sont particulièrement visées les pratiques qui ne reflètent pas la réalité économique et commerciale, et qui ont pour seul but l’obtention d’un avantage fiscal. Toutefois, l’associé résident belge est libre d’établir une structure dans un autre État, et l’opération réalisée par cette structure de droit luxembourgeois est une opération normale et non artificielle. Le vendeur et l’acquéreur sont liés par des dispositions contractuelles, et ces dernières reflètent une réalité ; l’achat s’inscrit en effet dans la réalisation de l’objet social de la société civile. Une fois de plus, on imagine mal comment cette disposition trouverait à s’appliquer au cas d’espèce.

En ce qui concerne la société civile elle-même, l’un des préceptes de base en matière de la fiscalité directe en droit luxembourgeois stipule que les faits et les actes juridiques doivent être interprétés et appréciés d’après des critères économiques (Loi d’adaptation fiscale du 16/10/1934 - StAnpG). Ainsi, pour les besoins de l’imposition, il n’est pas nécessaire de prendre en compte des simulations (§5 StAnpG). Il en va de même lors d’un abus de droit : les impôts sont à percevoir de la même manière qu’ils l’auraient été au cas d’une conception juridique tenant compte des activités, des relations et de la réalité économique (§6 StAnpG). Enfin, les revenus doivent obligatoirement tirer leur origine de critères et d’opportunités de nature économique parfaitement compréhensibles et concevables (§ 11 StAnpG), l’objectif n’étant pas exclusivement une optimisation fiscale. Ces dispositions, bien qu’applicables à la société civile, ne devraient pas susciter de difficultés. Elles auront peu d’impact étant donné que la société civile ne génère aucun revenu et que, par ailleurs, son implantation au Luxembourg est bien réelle : ses organes s’y réunissent aussi souvent que nécessaire. De surcroît, la société civile à objet purement civil n’a par définition pas besoin d’établir une quelconque activité économique effective sur le territoire d’accueil. Il ne pourrait dès lors pas être question de pratique abusive.

 

6. De l’usage du véhicule luxembourgeois en Belgique 

L’arrêté royal du 20/07/2001 relatif à l’immatriculation des véhicules oblige les personnes (morales ou physiques) résidant en Belgique à y faire immatriculer les véhicules qu’elles utilisent dans le Royaume (suite à Cass. 19/05/1999). Cet arrêté, tel que modifié par celui du 18 juin 2014, qui soumet lesdits véhicules à la taxe de circulation et à celle de mise en circulation, prévoit des exceptions.

Parmi celles-ci :

(i)                 Le véhicule qu’un prestataire professionnel étranger de service met en location pour un résident belge pour une durée maximale de 6 mois, non renouvelable (art.3 §2, 1°) [dans ce cas, le contrat de location ou sa copie doit accompagner le véhicule en permanence] ;

(ii)              Le véhicule qu’une personne physique utilise dans l’exercice de sa profession et accessoirement à titre privé et qui est mis à sa disposition par un employeur ou donneur d’ordre étranger auquel cette personne est liée par un contrat de travail ou un ordre [dans ce cas, une copie du contrat de travail ou de l’ordre doit se trouver à bord du véhicule, ainsi qu’un document établissant la mise à disposition par l’employeur étranger] (art. 3§2, 2°) ;

(iii)            Le véhicule de personnes conduit par un fonctionnaire résidant en Belgique et qui travaille pour une institution internationale située dans un autre État membre (art. 3§2, 3°) ;

(iv)             Le véhicule qui est mis à disposition à titre gratuit à une personne physique établie en Belgique pendant 1 mois au maximum [dans ce cas, doit se trouver à bord du véhicule un document autorisant l’utilisation de celui-ci par le résident belge pendant une période déterminée avec mention de la date de fin] (art.3 §2, 6°) ;

(v)               Le véhicule immatriculé dans un autre État membre au nom de la personne physique qui l’utilise exceptionnellement en Belgique pendant 30 jours au maximum par année, et qui est principalement destiné à être utilisé dans l’État membre précité [dans ce cas, doit se trouver à bord du véhicule un document établi et signé par le titulaire mentionnant clairement les dates de début et de fin de l’usage du véhicule en Belgique] (art.3 §2, 8°)

Le non-respect de ces conditions entraîne la taxation dans le chef du conducteur résident belge. 

Notons encore que suivant la circulaire du 30 mars 2018 relative aux taxes de circulation et de mise en circulation sur les véhicules automobiles, l’associé actif et le mandataire de société (gérant ou administrateur chargé de la gestion de la société) peuvent bénéficier du régime d’exception ici prévu à condition d’être rémunéré pour cette activité. Leur mandat ne peut dès lors pas être exercé à titre gratuit. Par contre, l’associé non actif et l’actionnaire d’une société se limitant à recueillir les fruits de ce qu’ils ont investis dans la société sans y exercer d’activité réelle, ne sont pas assujettis au statut social des travailleurs indépendants en Belgique et ne peuvent donc pas bénéficier du régime d’exception fixé par l’arrêté royal du 20 juillet 2001. Dans ce cas, doivent obligatoirement se trouver à bord, une copie des statuts de la société attestant de la qualité d’associé actif, de gérant ou d’administrateur rémunéré, ainsi que le contrat de leasing ou la convention de mise à disposition du véhicule. Par conséquent, les associés de sociétés civiles luxembourgeoises sont exclus de ce régime dérogatoire. Ainsi, tout résident belge roulant sur le territoire au volant d’un véhicule immatriculé au Luxembourg au nom d’une société civile veillera à ce que tous les documents utiles soient à bord en étant particulièrement vigilant à la validité des dates y figurant, tout en évitant de dépasser un mois par année calendrier de mise à disposition. 

Cette circulaire précise un point essentiel. Il n’est pas nécessaire que la personne donnant droit à l’exemption soit la conductrice du véhicule concerné. Toutefois, si cette personne n’est pas présente dans le véhicule, il importe que l’autre personne conductrice du véhicule soit domiciliée à la même adresse que celle ouvrant le droit à une non-obligation d’immatriculation en Belgique. Autrement dit, il est interdit au travailleur, à l’étudiant ou au locataire de prêter son véhicule à une personne qui n’est pas domiciliée avec lui. En cas de contrôle, outre l’amende, les taxes seront exigées. 

Pour le résident belge preneur de leasing auprès d’une société luxembourgeoise, dès lors que ce premier circule sur le territoire belge avec un véhicule immatriculé au Luxembourg, la société de leasing devra lui porter en compte les taxes de mise en circulation et de circulation. Seul l’avantage au niveau du taux de TVA luxembourgeois appliqué subsiste. Mais tel n’est pas le cas lorsqu’on entre dans le champ d’application des exceptions précitées. Ainsi, échappe à cette taxation belge le véhicule propriété de la société civile luxembourgeoise qui est mis à disposition de son employé, associé actif ou dirigeant d’entreprise ou même dans l’hypothèse où cet employé/dirigeant d’entreprise le prête occasionnellement durant maximum 1 mois par an à un tiers. C’est la raison pour laquelle le véhicule doit être accompagné d’un contrat de location qui ne dépassera pas un mois. Cette jouissance peut être accordée à titre gratuit, à charge par exemple, pour son utilisateur de supporter à ses frais les charges liées à l’usage du véhicule durant la période contractuelle. 

 

7. Conclusion  

En conclusion, il est indéniable que tant au niveau national qu’international, la tendance est à la lutte contre la lutte contre les pratiques fiscales agressives, ce qui engendre une certaine incertitude juridique pour les montages ingénieux. Ne pouvant pas remettre en cause l’existence même de la société civile et la légitimité du mécanisme, des pressions ont été exercées sur les compagnies d’assurance pour les inciter à refuser d’assurer les véhicules immatriculés au nom d’une société civile, sous prétexte que celle-ci serait dépourvue de substance. Cette pratique pose question quant à sa légalité et n’est, fort heureusement, pas suivie par toutes les compagnies. Le mécanisme décrit, à condition d’en suivre les balises, reste d’actualité et offre encore la possibilité de profiter occasionnellement d’une voiture d’exception sans être soumis aux charges fiscales particulièrement élevées en Belgique. Si l’optimisation demeure donc possible, il y a toutefois lieu de la pratiquer avec mesure, la prudence étant mère de toutes les vertus. Ainsi, l’associé sera précautionneux en anticipant une raison non fiscale susceptible de justifier la création de cette société civile au Luxembourg. Ces motifs peuvent être variés, comprenant par exemple l’adhésion à un club automobile luxembourgeois, la possibilité de souscrire un contrat d’assurance luxembourgeois Full Omnium, offrant notamment une option pour rouler sur circuit pour un supplément de l’ordre de 300 € par an (alors que cette possibilité est restreinte en Belgique et coûterait près de 1.500 € par journée passée sur un circuit), la possibilité d'assurer une moto de plus de 100 CV (ce qui est sujet à des limites dans la plupart des autres pays européens). Il est à noter que les associés de la société civile luxembourgeoise devraient naturellement éviter d’utiliser quotidiennement le véhicule sur le territoire belge, où il resterait stationné toute l’année. En fin de compte, la prudence et le strict respect des règles légales sont essentiels pour bénéficier des avantages offerts par cette structure tout en demeurant en conformité avec les exigences fiscales en constante évolution.